Quand les Arts se mettent à table : Arcimboldo

Françoise Chenet

Arcimboldo, peintre par excellence de la nature morte

Le musée du Luxembourg a donné du 15 septembre 2007 au 13 janvier 2008 une exposition consacrée à Arcimboldo (Catalogue : Sylvia Ferino-Pagden, Arcimboldo 1426-1593, Skira, 2007, 319 p.), peintre par excellence de la nature morte dont il réussit à faire de vivants portraits.

L’œuvre peint d’Arcimboldo (1526-1593) pose un problème intéressant : en apparence, il s’agit de portraits, mais, composés de végétaux, d’animaux et d’éléments naturels, ces portraits sont aussi une autre façon de représenter la nature. Les portraits d’Arcimboldo l’utilisent comme moyen et, jouant – car ils sont ludiques et satiriques – sur des analogies, des correspondances, des métaphores, ils sont allégoriques. On reconnaît sans peine l’esthétique maniériste. Aussi « manière » au sens de « style » est-il le mot qui convient pour rendre compte de la singularité de ces portraits et, dit la critique, de leur côté énigmatique et fantastique et, pour tout dire, chimérique, si l’on veut bien toutefois redonner à ce terme son sens mythique : la combinaison monstrueuse (toujours au sens étymologique) d’éléments pris à des espèces animales différentes. La chimère n’étant que construction, elle est pour l’essentiel dans une combinatoire, réduisant la part de l’Inventio au profit de la Dipositio. L’artiste n’a qu’à laisser libre cours à son imagination, supérieurement créatrice précisément parce qu’elle n’invente rien mais redistribue ad libitum les signes de l’univers visible de façon à rendre sensible sa face cachée.

Ce n’est donc pas l’un des moindres paradoxes de l’œuvre d’Arcimboldo, ses portraits sont aussi « naturalistes » et donnent, par l’extrême précision du bestiaire ou de la flore dont il les compose, l’équivalent des planches de l’Encyclopédie pour les connaissances de son temps. Ces portraits sont un hymne à l’ingéniosité de l’homme autant que le prolongement pictural des cabinets de curiosités dont l’exposition restitue l’atmosphère en présentant des objets rares issus de collections.

C’est sans doute par cette précision que ces portraits-rébus sont aussi des paysages qui, conformément à l’esthétique maniériste rompant avec les lois de la perspective, donneraient à voir les « choses » sous un autre angle. Tout est question de sens et de point de vue, comme le démontrent les anamorphoses du Cuisinier ou de L’Homme-Potager :

il suffit de renverser le tableau ou de le voir dans un miroir pour que la « nature morte » devienne le portrait du jardinier. Et il suffirait d’éparpiller navets, carottes, oignons, champignons, châtaignes et noisettes sur un coin de terre pour retrouver le paysage d’automne dont ils sont extraits ou le jardin qui les a produits (Voir le « jardin botanique d’Arcimboldo » in Arcimboldo, Le banquet littéraire, sVo Art Editions, p. 88.).

Le plus accompli de ces portraits végétaux et gourmands est sans aucun doute Vertumne représentant la mine rubiconde et réjouie de l’empereur Rodolphe II de Habsbourg, son commanditaire.

Certaines allégories comme l’Hiver semblent illustrer par avance la définition du « paysage vertical », tel que le définira Dubuffet et, plus concrètement, les murs et jardins végétaux qui font florès de nos jours. Si de loin, c’est le tronc d’un arbre qui est l’analogon, à y regarder de près, dans le creux de l’oreille entourée d’une touffe de lierre d’où jaillissent hirsutes des racines entremêlées, s’esquisse un fragment de paysage. Question de distance, de point de vue et de cadrage. Mais portrait ou paysage, le tableau énonce cette vérité mélancolique de l’humanisme finissant : l’homme, mesure de toute chose, est le maître dérisoire d’une création soumise à l’entropie.

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