De gauche à droite, Gérard Philipe et Jean Vilar
Comment un célèbre acteur de cinéma et le créateur du Festival d'Avignon se sont-ils rencontrés, comment ont-ils noué une relation professionnelle très forte ? L'adaptation de leurs lettres, réalisée par Virginie Berling, et éditée par TriArtis, nous permet de le comprendre.
Gérard Philipe connait très vite le succès au cinéma. Il devient une "vedette" grâce à ses rôles dans "Le diable au corps" et "La Chartreuse de Parme". Mais il aime le théâtre où il a commencé à jouer. Un jour de novembre 1950, il vient voir Jean Vilar dans sa loge du théâtre de l'Atelier et se propose comme interprète. Le metteur en scène, qui a créé le festival d'Avignon en 1947, observe, tout en se démaquillant, "ce garçon célèbre que je connaissais mal" et lui promet qu'il jouera "Le Prince de Hombourg" au prochain Festival d'Avignon, en 1951.
C'est le début d'une relation fructueuse entre un metteur en scène exigeant et un acteur célèbre mais qui est resté modeste.
Gérard Philipe continue de jouer au cinéma. Jean Vilar lui donne ce conseil: "Tout ce que je souhaite, c'est que tu fasses un très beau Fanfan La Tulipe. Méfies toi: tu viens de faire du théâtre sans mesures, ne fourre pas du théâtre dans ton film"
En 1951, Jean Vilar devient le directeur du TNP -Théâtre National Populaire, avec l'objectif de faire connaitre de grandes pièces classiques à un public populaire, grâce à des places pas chères. Gérard Philipe le suit dans cette aventure. Il devient "Le Cid" et, aussitôt, l'acteur-vedette du TNP. Occasionnellement, il fait, tout en jouant dans cette pièce, de la mise en scène sur "Lorenzaccio", de Musset, quand Jean Vilar est malade. Mais celui-ci, malgré ses responsabilités directoriales, continue de vouloir jouer des rôles dans des pièces qu'il met en scène. Et là, Gérard Philipe lui donne des conseils directs, afin qu'il se disperse moins: "Joue moins. Ne fais qu'une grand création par an comme acteur. Et demande à d'autres acteurs que tu aimes de venir jouer chez toi."
De son côté, Jean Vilar écrit à son acteur-vedette d'arriver à l'heure aux répétitions !
Les deux hommes se parlent directement car la confiance entre eux est totale et ils ont un même idéal. Jean Vilar écrit à l'acteur: "Gérard, tu n'es pas pour moi que Rodrigue ou Hombourg. Tu es le seul comédien de ta génération qui ait compris sentimentalement le problème populaire."
En décembre 1952, ils rédigent une déclaration commune pour défendre le TNP critiqué dans la presse.
Cette correspondance met notamment en lumière la personnalité de Jean Vilar. Il écrit: "A 20 ans, j'étais pauvre et le théâtre me rejetait, à 30 ans, le théâtre ne m'acceptait toujours pas. A 40 ans, j'ai trouvé une équipe d'hommes et d'ouvriers, ma vie est belle. Je t'aime bien, Gérard, et je sais que tu m'aimes bien. La tâche continue et elle continuera après nous."
Jean Vilar apprécie les qualités humaines et professionnelles de l'acteur : "A chaque fois, je m'émerveille de ses dons, de cette grâce qui sait rester discrète, de cette technique si pure.
Fin 1954, Gérard Philipe éprouve le besoin de faire une pause théâtrale; il va notamment réaliser un film "Till l'espiègle" dans lequel Jean Vilar jouera un petit rôle.
Il revient avec plaisir au TNP en 1958 pour jouer Musset "Les Caprices de Marianne " et "On ne badine pas avec l'amour", où il connait un triomphe.
Cette amitié prend fin en novembre 1959, avec la mort de Gérard Philipe.
"Il était loyal. Il était fidèle. Fidèle à ses engagements du premier jour. Quoiqu'il advint. Quoiqu'il advienne. Cette fidélité de lui à nous, de nous à lui, seule la mort pouvait la rompre", écrit Jean Vilar.
-Jean Vilar/Gérard Philipe, "j'imagine mal la victoire sans toi..."Adaptation des lettres par Virginie Berling. Editions TriArtis.