Découvrez les sous-sols du Quartier Latin avec un spécialiste, Gilles Thomas.
Il est un lieu commun que l’on s’ingénie à colporter à l’envi sur les sous-sols parisiens, c’est que ceux-ci seraient troués à l’image d’un célèbre fromage à pâte dure : l’emmental (car rappelons-le s’ils étaient comme un gruyère, ils n’auraient aucune raison de donner libre cours à une fantasmagorie débridée car ce fromage suisse auquel il est souvent fait référence par confusion culinaire ne présente aucune alvéole !)
Autre image déformée, lorsque l’on parle des innombrables galeries qui serpentent sous Paris, on pense aux égouts (peu ou prou 2500 km, soit la distance de Paris à Moscou en avion) ainsi qu’aux carrières et catacombes... en faisant souvent des confusions entre les deux, et plus souvent que l’on ne imagine car chacun sait que « C’est dans les égouts de la capitale qu’ont lieu les dîners en ville » (Magazine modeux Il, daté d’avril 1982, article signé Adrian H. Darmon qui évoque en fait les carrières).
Coupe du RER à la station Luxembourg, du temps de l’ancienne ligne de Sceaux, extraite du Mémoire de la Société des Ingénieurs civils (vol.88, 1er semestre 1907). On y voit les égouts, les carrières sont non visibles ici car se trouvant sous le niveau des voies et de la gare.
Mais on a une fâcheuse tendance à oublier le métro, que l’on voit plus comme un moyen de transport que comme un ensemble de galeries techniques ; pourtant, le métro ce sont 200 km de tunnels (là où circulent les trains de voitures) et 200 km de couloirs de correspondance dans lesquelles circulent et parfois piétinent les usagers. D’autres galeries techniques existent, par lesquelles transitent différents fluides : le chauffage urbain (environ 450 km) et à l’opposé un circuit de climatisation (plus de 45 km, réseau en constante augmentation), l’électricité (120 km), le téléphone (50 km), tandis que le réseau pneumatique a disparu relativement récemment (en 2004 pour la dernière connexion publique entre le Journal officiel, le Sénat et l’Assemblée nationale, qui semblent alors avoir découvert tardivement l’existence des courriers électroniques ; nous n’osons dire que l’information lui est parvenue à un « rythme de sénateur »). Mais il existe aussi des aqueducs, des parkings (publics et privés) ainsi que des cryptes dont la crypte Notre-Dame-des-Champs sise en plein cœur du Quartier Latin (précisément au 14 bis, rue Pierre Nicole) peut s’enorgueillir d’être la plus ancienne de Paris ; et de très nombreuses caves. En tout, ce sont une trentaine de concessionnaires différents qui gèrent les galeries souterraines de Paris, donc ce « trop plein de vides », avec lequel la ville doit compter lorsque de nouveaux projets d’urbanisme sont envisagés, mais sans lequel elle ne pourrait vivre.
Revenons à nos « chères carrières » dont le Quartier Latin peut s’enorgueillir de posséder des galeries dans son tréfonds, alors que la surface parisienne sous-minée par de telles anciennes exploitations ne représente qu’à peine 10% de la capitale. Selon un décompte établi par Jean-Claude Saratte (commandant de police de la 2ème DPJ, aujourd’hui en retraite, et qui fut le co-créateur de l’Équipe de Recherche et d’Intervention en Carrières, première équipe de Cataflics comme ils se nommèrent eux-mêmes) à partir de mesures sur la cartographie au millième dressée par l’Inspection des carrières, ce seraient précisément 8 km 425 de galeries de servitude établies au niveau des anciennes carrières souterraines qui sous-minent le 5e arrondissement et 12 km 797 pour le 6e. Et parmi ces vides issus d’anciennes exploitations, on peut d’ores et déjà noter que se trouve protégée par une mesure de classement « l’ancienne abbaye du Val- de-Grâce : sol et sous-sol [...] contenant les fondations de l’ancienne abbaye, l’escalier dit de Mansart, le trou de service du pavillon de la Reine, les carrières souterraines ainsi que les graffiti et inscriptions topographiques » (arrêté du 1er mars 1990 – parution au Journal officiel daté du lundi 22 et mardi 23 avril 1991). Suivant l’exemple de cet illustre prédécesseur, peu d’autres parcelles souterraines de même nature seront classées : la fontaine des Capucins sous l’hôpital Cochin, notre voisin du 14e arrondissement (arrêté du 8 juin 1990 – parution au Journal officiel daté du lundi 22 et mardi 23 avril 1991), ainsi qu’« une partie de la carrière souterraine du chemin du Port-Mahon et du sol des parcelles correspondantes » (parution au Journal officiel daté du lundi 10 et mardi 11 janvier 1994) également sous le 14e. Nous pouvons par la même occasion remarquer que les fameuses catacombes (l’un des 14 musées gérés par la Ville de Paris, et celui recevant le plus grand nombre de visiteurs annuels, plus de 500 000 au dernier décompte) ne bénéficie pas d’une telle mesure, ne serait-ce que la simple inscription à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques, mais ceci est une autre histoire. De même que d’avoir accepté l’organisation, la nuit d’Halloween 2015, d’un dîner aux chandelles, suivi d’une nuit pour un couple de personnes, en prétextant que l’ossuaire n’était pas un cimetière alors que le lieu a été consacré très officiellement et religieusement le 7 avril 1786, que des messes y furent concélébrées jusqu’au milieu des années 70, et qu’il n’a jamais été désacralisé par aucune mesure émanant des représentants du culte.
Image. Un des piliers caractéristiques de la salle Z, avec sa forme pyramidale dans la moitié inférieure. Ayant enlevé les remblais qui encombraient la carrière, l’entreprise de travaux publics chargée de la création de l’abri dut construire ces formes particulières pour maintenir les maçonneries originelles, qui étaient autrefois bloquées par la masse de matériaux de remblaiement qui les entourait. Un abri qui ne vit aucun réfugié , hormis les ouvriers, les seuls à y avoir séjourné sont des cataphiles, n’est-ce pas ResKaP, Sa Sa (Ika), City, Kaito, etc.
À proximité de cet ensemble de vides conventuels, certains ont peut-être entendu parler de la salle Z, qui se trouve au droit du 77, rue Claude Bernard, sous la maison de la Géologie, là où un projet de centre de documentation de la pierre et des sous-sols est programmé pur 2027 (en commun entre le BRGM, le SGF et l’IGN). Dépêchons nous d’en corriger les approximations et autres affabulations : oui c’est bien un ancien abri de défense passive, mais non son nom n’est pas lié à la crainte des gaz de combats à la veille et même l’avant-veille de la Seconde Guerre mondiale d’où la création d’un Service Z chargé de lutter contre... pour la simple raison que les travaux pour son édification ne commencèrent pas avant la mi-44, pour finalement être livré brut de décoffrage, pas terminé, encore moins équipé, qu’à la toute fin 1945 (date de réception le 19 décembre 1945 ; Paris est libéré depuis plus d’une année, et la guerre est même officiellement terminée). Une étymologie plausible serait liée aux événements festifs clandestins organisés dans les années 80 par les étudiants des Beaux- Arts, les Z’arts, dans ce site permettant de rassembler plusieurs centaines de participants.
Aux carrières sus-désignées, il convient donc d’ajouter les plus que nombreuses caves- abris de la Défense Passive (DP) dont les vestiges sont beaucoup plus abondants qu’on ne l’imagine (il y en avait une moyenne de 500 par quartier, lesquels sont, rappelons-le, les divisions administratives de chaque arrondissement). Les locataires s’y réfugièrent pour se protéger de bombardements hypothétiques de la capitale dès les premières alertes, ayant été formés par des cours théoriques et des exercices pratiques dès le milieu des années 30, puis dès le début de 1944 lors des événements aériens préfiguratifs et des préparatifs du Débarquement.
Appel à témoin :
Image. Une flèche, menant sur un mur aveugle dans la cave de l’immeuble résidentiel d’un membre éminent du bureau du Comité Quartier Latin. Une simple flèche, mais dont l’existence est un reflet de l’Occupation, comme le montre là où elle mène : une paroi en plâtre libellée « Sortie de secours à défoncer en cas d’accident ».
Image. Sur cette porte à droite, une inscription indique que la sortie de secours se trouve à l’intérieur de cette cave particulière. En acceptant de la franchir, nous faisons plus que pénétrer dans une cave, nous pouvons donc remonter le temps de plus de 70 ans.
Dans deux ouvrages évoquant le « Paris souterrain » (Paris capitale souterraine de Georges Verpraet, ainsi que le Paris sous Paris de Maurice Barrois), il est fait référence à une « chambre de rendez-vous d’égoutiers » qui été prévue pour servir de PC souterrain au service de Santé de la Résistance lors de l’Insurrection de Paris ; or celle-ci, désignée sous le nom de chambre Gay-Lussac (donc dans le quartier du Luxembourg) semble avoir disparu corps et âme, engloutie qu’elle fut certainement dans les travaux de voirie ayant succédé à sa désaffectation. Une chambre de RdV késako ? De nos jours où le politiquement correct envahit jusqu’à la moindre publication même confidentielle, il conviendrait de dire un « lieu d’appel souterrain », dans lequel les égoutiers se réunissent avant et après leur travail, y ayant des vestiaires, des douches, mais aussi autrefois une communication directe avec les égouts. Travaillant sur les sous-sols de Paris pendant l’Occupation pour mon prochain ouvrage, je n’arrive pas à la localiser, ni sur le terrain (par la présence de hublots de verre normalement sur le trottoir permettant un éclairage zénithal), ni sur les plans des égouts (anciens comme actuels), ni par l’intermédiaire du service des égouts de la Ville. Si quelqu’un à une idée...
Pour tout savoir sur les anciennes carrières et catacombes du Quartier Latin, ainsi que l’histoire et l’actualité de l’étrange population qui éprouve un plaisir non feint à y passer du temps, j’ai nommé les cataphiles , vous pouvez lire mon dernier ouvrage, Les Catacombes. Histoire du Paris souterrain, publié en 2015 aux éditions Le Passage. Cliquez éthique, achetez en librairie : annuaire des librairies du Quartier Latin.