"Détective", fabrique de crimes ?

Alain Garabiol
premiere edition detective

Une expo fût consacrée au plus fameux des journaux policiers à la Bibliothèque des littératures policières.

La Bibliothèque des littératures policières (Bilipo) consacra une exposition à "Détective", l’hebdomadaire de faits divers créé par Gallimard en 1928, qui a rencontré un large public en renouvelant le traitement des faits divers.

"Détective" est lancé le 1er novembre 1928. À la une, "Chicago, capitale du crime". Jusqu’à son dernier numéro, en juillet 1940, "Détective" va, sinon bouleverser, du moins moderniser la manière de relater les faits divers.

L’exposition très documentée rappelle l’histoire de ces faits divers dans la presse : c’est en 1835 que la rubrique "faits divers" apparait dans les quotidiens, avec l’affaire Lacenaire. En 1896, l’affaire Troppmann marque un tournant, car elle donne à cette rubrique une dimension plus importante. À cette époque, les quotidiens baissent leur prix pour attirer un public plus populaire. Peu après, des hebdos spécialisés voient le jour : "Les faits divers illustrés" et "L’œil de la police"

"Détective" voit donc le jour en 1928, suivi un an plus tard par un concurrent,"Police Magazine". "Détective", à l’origine, "le grand hebdomadaire des faits divers", devient ensuite "le premier hebdomadaire des faits divers". Il se distingue de ses concurrents sur deux points surtout :

> il fait appel à des écrivains reconnus, comme Kesssel, Carco ou Mac Orlan. ou débutants comme Simenon, qui signe Georges Sim, ainsi qu’à des experts, comme le directeur de la police technique de Lyon, qui tient la chronique "La science contre le crime".

> il donne une grande place aux photos. Les appareils portatifs permettent aux photographes de se déplacer aisément et de varier les angles et les points de vue ; de plus, le bélinographe permet l’envoi de photos à distance. Le récit est toujours visuel : "Détective" envoie toujours en reportage un rédacteur et un photographe.

A l’origine de l’hebdomadaire, Gaston Gallimard ! Celui-ci veut ainsi compenser l’édition de livres exigeants par une politique éditoriale commerciale. Gallimard s’associe avec Hachette qui lui garantit l’accès de "Détective" aux kiosques des gares. Le tirage, au départ, est de 250 000 exemplaires. Le prix est très modeste, rendant l’hebdo ainsi accessible aux classes populaires. "Détective" procure à ses lecteurs la dose d’émotions fortes qu’ils sont venus chercher. Des "une" de l’hebdo sont exposées ; parmi elles, "Prisons de femmes":Francis Carco commence aujourd’hui son sensationnel reportage" ou bien "le grand reportage de Pierre Mac Orlan sur les rues secrètes de Tunis" ou encore : "Nuits de Montmartre, c’est une chasse vraie et dramatique sur ces territoires hallucinants que Joseph Kessel conte. "

"Détective" raconte beaucoup de faits divers comme des romans, mais certains reportages sont de vraies fictions ! C’est d’ailleurs un reproche qui est fait à l’hebdo :" bidonner"des articles ; parfois, le côté amateur du cliché censé en faire un témoignage authentique est fabriqué ! Les journalistes utilisent souvent un pseudonyme, comme ce "Jean Castellano", correspondant à Marseille, "capitale (française) du crime"

Autre critique : verser dans le voyeurisme, comme publier des photos d’exécutions capitales. On lui reproche enfin de donner des idées de crimes, d’être une fabrique de crimes...

Mais, par ailleurs, l’hebdo prend position sur des sujets controversés : ainsi, il se prononce pour la fermeture du bagne de Cayenne, et pour la révision de certains procès qui ont été baclés. Il fait voter ses lecteurs sur ces questions sensibles. Il demande aussi aux lecteurs leurs conseils pour améliorer la maquette du journal.

A partir de 1934, et l’affaire Stavisky, "Détective" consacre une partie de ses artices à la politique- la montée du nazisme en Allemagne ou la guerre d’ Espagne. Mais les ventes baissent, des salariés sont licenciés et, pour relancer l’hebdo, l’occultisme fait son apparition et les romans-feuilletons qui avaient disparu en 1931 réapparaissent en 1936.

En juillet 1940, les Allemands interdisent "Détective" et, à la Libération, celui-ci est vendu par Gallimard au groupe Beyler qui en fera disparaitre toute ambition littéraire.

"Détective, fabrique de crimes ?", expo à voir jusqu’au 1er avril 2017 à la Bilipo, au 48,50 rue du Cardinal-Lemoine, Paris 5ème. L’occasion, pour ceux qui ne la connaissent pas, de découvrir cette unique bibliothèque de littérature policière à Paris, une mine d’or pour les amateurs du genre.