“LE QUARTIER LATIN MIS EN SCENES”

Alain Garabiol
Première de couverture

Un livre plein d'amour pour le cinéma et le Quartier latin écrit par Jean-Michel Frodon

 

Le Quartier latin, défini comme le 5ème arrondissement et le 6ème, sans le quartier Montparnasse, n'est devenu un lieu fréquent de tournages de films qu'après 1945. C'est ce que révèle Jean-Michel Frodon dans son livre. La jeunesse commence en effet à exister de manière autonome dans les années qui suivent la Libération, par la musique, la danse, les styles vestimentaires et des comportements différents vis-à-vis des parents. A partir du milieu des années 50, le phénomène devient massif. Le premier film marquant de cette époque est “Rendez-vous de juillet” (1949) de Jacques Becker. Plusieurs lieux emblématiques du Quartier latin y apparaissent.

 

Ce film est le point de départ d'une série d'autres situés dans le même quartier, et qui reprennent le motif d'une jeunesse souvent à la fois privilégiée et marginale, en rupture avec la société. “Les Tricheurs” de Marcel Carné, "La Vérité" de Georges Clouzot, se situent dans ce quartier qui inspire aussi les cinéastes de la Nouvelle Vague, Claude Chabrol "(Les Cousins"), Eric Rohmer ("La carrière de Suzanne"), Jean-Luc Godard ("A bout de souffle") et François Truffaut (la scène tournée au théâtre des Marionnettes du Luxembourg dans "Les 400 coups").

 

Des documentaristes reconnus tournent au Quartier latin : c'est le cas d'Agnès Varda ("L'Opéra Mouffe") qui filme en 1958 un quartier encore populaire, Jean Rouch et Edgar Morin ("Chronique d'un été", 1961) ainsi que Chris Marker (“Le Joli Mai”, 1963). Et, plus tard, Raymond Depardon (“Faits divers”,1983, tourné au commissariat du 5ème arrondissement, qui donne l'image d'un quartier contrasté avec des personnes pauvres).

 

Mais des films “grand public” ont aussi pour cadre le Quartier Latin : la collision qui a lieu devant l'église Saint-Etienne du Mont au début du “Corniaud”, de Gérard Oury, est restée dans les mémoires. “Tendre poulet” de Philippe de Broca, "Rive droite, rive gauche", de Philippe Labro, ou “La boum” de Claude Pinoteau se situent dans des lieux célèbres de cet espace, tout comme le film de Claude Sautet "Nelly et Monsieur Arnaud" dont l'action se déroule notamment chez un éditeur et à la piscine Pontoise.

 

Jean-Michel Frodon fait un inventaire impressionnant des films tournés au Quartier latin. Inventaire pas tout à fait complet cependant (mais est-ce possible, tant le 7ème art a été inspiré par ce quartier mythique ?) : il manque ainsi “Ariane” de Billy Wilder, où les personnages joués par Audrey Hepburn et Maurice Chevalier vivaient dans un vieil appartement rue Malebranche.

 

L'auteur, à la fin de son ouvrage, fait un focus sur trois films tournés dans ce quartier : “Le feu follet” de Louis Malle, “Le signe du lion” d'Eric Rohmer (auteur aussi d'un très beau “Les Rendez-vous de Paris”) et “Paris vu par ”Jean Douchet.

 

Ce livre contient aussi une réflexion intéressante sur l'évolution du Quartier latin. Celui-ci est victime de la gentrification de "la Mouffe" comme des commerces de luxe à Saint-Germain des Prés. De plus, la dépréciation d'une culture intellectuelle, ambitieuse, et la marchandisation du monde vont à l'encontre de ses valeurs. L'image attachée au Quartier latin, aujourd'hui, ne relève-t-elle pas alors plus du mythe que de la réalité ? Si son identité s'est diluée, elle n'a pas disparu, affirme l'auteur. Ce lieu reste en effet unique au monde par le nombre de ses librairies, ses cinémas indépendants - ceux-ci sont cités à la fin de l'ouvrage - et ses nombreuses galeries d'art, et beaucoup de maisons d'édition, d'universités et de grandes écoles y sont toujours présentes. En tout cas, il y a un pays où il a gardé tout son éclat : les Etats-Unis dont les cinéastes continuent de le célébrer, de “Hugo Cabret” de Martin Scorsese, à "Minuit à Paris" de Woody Allen, ce dernier magnifiant de nombreux lieux : difficile de trouver un film qui rend autant hommage à la Culture au Quartier latin !

 

Le Quartier latin mis en scènes, de Jean-Michel Frodon, édition Espace & Signes (111 pages)